Coup de tonnerre sur le commerce mondial : les Chinois, d’habitude prudents, commerçants et cherchant le compromis, décident d’imposer de nouveaux contrôles drastiques à l’exportation de leurs terres rares, y compris raffinées et utilisées dans les technologies modernes.
Ainsi, dans une annonce récente du ministère chinois du Commerce datée du 9 octobre 2025, on apprend que Pékin va imposer des contrôles à l’exportation élargis sur les terres rares et les aimants permanents, effectifs au 8 novembre 2025, incluant sept minéraux supplémentaires (samarium, gadolinium, terbium, dysprosium, lutetium, scandium et yttrium) et s’étendant à tout produit contenant plus de 0,1 % de matériaux ou technologies d’origine chinoise en terres rares. En sous-titre, tout le monde comprend que cette mesure cible notamment la défense, les semi-conducteurs, les véhicules électriques et des technologies avancées. Contrairement aux restrictions passées (de 2010 ou 2023), celle-ci n’est pas limitée aux minerais bruts mais englobe le raffinage, la transformation et l’intégration finale, amplifiant son impact systémique.
C’est surtout la réaction de Donald Trump qui a fait connaître la prise de position de Pékin (en France, la presse était rivée sur les clowneries de Macron et Lebiscornu). Dans un petit texte paru sur TruthSocial, le président américain a fait part de sa surprise et expliqué vouloir riposter en augmentant les droits de douanes pour la Chine en les passant à 100 %.
Ceci n’a pas manqué de provoquer des remous boursiers, avec notamment une belle dégringolade des cryptomonnaies suite à l’annonce de la Maison Blanche.
Au-delà de ces aspects, on peut se demander quel jeu joue la Chine : la Chine privilégie normalement plutôt le commerce ouvert et les compromis pour asseoir son influence économique (via des partenariats comme la Belt and Road Initiative). S’agit-il seulement d’une réponse à la guerre douanière des américains ?
Il est vrai que les droits de douane et les contrôles imposés par les Américains sur les semi-conducteurs sont perçus par Pékin comme une menace existentielle à son développement technologique : en verrouillant ainsi les terres rares – dont la Chine contrôle 80 à 90 % de la production et du raffinage mondial – Pékin crée une vulnérabilité symétrique puisque sans ces matériaux (essentiels pour les puces, moteurs des voitures électriques, les radars et les lasers), les chaînes d’approvisionnement occidentales seront à sec d’ici cinq à dix ans.
Mieux encore : cette restriction orchestre une « dépendance absolue » internationale, transformant les terres rares en levier géopolitique. Pékin ne vend alors plus des matières premières, mais des « systèmes verrouillés » tout intégrés, forçant les acteurs mondiaux (les centres de calculs, les sociétés d’intelligence artificielle, les usines de puces, les armées) à entrer dans une sorte de partenariat de long terme avec le ministère du commerce chinois. Eh oui : contrairement à une approche occidentale plus traditionnellement orientée par les résultats trimestriels (et les marchés de court terme), la Chine montre ici encore une fois raisonner en plus long terme et propose ici des « écosystèmes physiques interconnectés », avec toute la chaîne depuis l’extraction, le raffinage, la transformation en aimants et en alliages, et l’intégration dans les produits finis. Pékin vise ici le contrôle de la « racine » (les matières premières les plus essentielles) pour dominer l' »arbre » (les technologies du XXIe siècle).
Et selon toute vraisemblance, il s’agit d’une façon pour les Chinois de se créer un levier pour de prochaines négociations, alors qu’une rencontre entre Xi et Trump est prévue entre du 31 octobre au 1er novembre – notez d’ailleurs que les mesures des deux côtés n’entrent officiellement en force qu’après cette rencontre. Ce n’est pas une nouveauté : la Chine a utilisé des restrictions temporaires (comme en 2010 contre le Japon) pour obtenir des concessions, mais ici, l’ampleur vise à redessiner l’équilibre des puissances.
De façon plus profonde, la Chine anticipe aussi qu’elle n’aura pas toujours l’actuel monopole dont elle jouit (et ce genre de manœuvre tend d’ailleurs à accélérer la prise de conscience du problème par tous les acteurs). En plus de protéger ses propres industries en rationnant les exports, elle favorise sa propre indépendance pour ces matériaux qu’elle considère stratégiques. Ce faisant, elle passe d’un « soft power » commercial à un « hard power » matériel, en quelque sorte aux réponses de la montée en pression américaine. À la doctrine américaine actuelle (« Peace through strength », la paix par la force), la Chine réaffirme sa doctrine « l’harmonie par la force sous-jacente ».
Maintenant, si l’on s’éloigne un peu de ce tableau somme toute assez évident, on doit s’interroger sur l’impact de ces mesures en Europe. Et c’est là que les choses deviennent particulièrement intéressante dans le contexte actuel : l’Europe dépend en effet à 70 % directement de la Chine pour ces imports critiques (le reste provenant en grande partie des Américains, donc des Chinois de façon indirecte).
Autrement dit, la première victime de ces passes d’armes entre Américains et Chinois est, une nouvelle fois, l’Europe.
Avec ces mesures, les industries critiques européennes vont subir des disruptions très rapides : les terres rares sont en effet essentielles pour différentes technologies de l’armement. Or, les exportations à usage militaire sont refusées en principe. Ceci va directement gêner des géants comme Airbus ou des fournisseurs comme Rheinmetall (dont le cours de bourse est en baisse de 1,1 %), Thales (-0,8 %) et Leonardo (-1,3 %). Cela complique fortement le réarmement européen et l’aide militaire à l’Ukraine. Pour Pékin, qui penche clairement pour les Russes, cet aspect n’est certainement pas fortuit.
Cela va plus loin : les moteurs électriques et batteries dépendent des matériaux touchés par les restrictions chinoises. Des constructeurs comme Volkswagen, BMW et Renault ont déjà connu des arrêts de production en juin 2025 dus à des stocks trop bas et même si l’Union européenne a doublé ses imports d’aimants via le Vietnam cette année, elle reste fort exposée. Il en va de même avec toute la filière européenne des éoliennes, des panneaux solaires et des batteries lithium-ion.
Sans surprise, la clique bruxelloise a exprimé ses inquiétudes : même si la production de bouchons attachés ne sera pas du tout impactée, il n’en reste pas moins que chacun des programmes que l’Union tente à toute force d’imposer à une population européenne qui y est de plus en plus réticente mais ne parvient pas à se faire entendre de ses dirigeants, va être profondément et négativement impacté par ces mesures chinoises.
Est-ce un hasard ? Certains complotistes pourraient y voir une véritable entente entre Pékin et Washington pour faire plier l’Union européenne et ainsi forcer la Commission à abandonner ses projets et plan quinquennaux de plus en plus décalés avec les souhaits des peuples et les capacités actuelles du Vieux Continent…
Vraiment trop improbable.
Les Chinois vont se consacrer à utiliser le talon d’Achille économique…